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2 juin 2008 1 02 /06 /juin /2008 08:03

Le pianiste français signe le deuxième volume d'une intégrale de l'œuvre pour piano.


Claude Debussy. Œuvres complètes pour piano, volumes 1 et 2. (Chandos)

 

Jean-Efflam Bavouzet aime Debussy: cela s'entend. Il y a un plaisir charnel, une gourmandise, carrément une jouissance à s'approprier cette musique qui rompt avec des lectures plus distanciées. Le pianiste français fait corps avec Debussy. Il en exalte les courbes sensuelles, en hume les parfums, comme s'il se promenait dans un jardin des plantes. Le deuxième volume d'une intégrale en cours, qui paraît ces jours-ci sous le label Chandos, confirme les options choisies dans un premier volume déjà fort remarqué.

 
Jean-Efflam Bavouzet est un sanguin. On peut préférer son Debussy moins empathique, moins ouvertement expressif, plus porté par l'art de la suggestion. Mais c'est précisément cette capacité à faire sienne une écriture formidablement audacieuse qui rend l'interprétation de Jean-Efflam Bavouzet si attachante.


Entêtante même. Le premier volume, consacré aux deux Livres de Préludes, est particulièrement réussi. Jean-Efflam Bavouzet adopte un ton à la fois réfléchi et improvisé qui est l'essence même de la musique de Debussy. Ces pages, qui ne tombent pas facilement sous les doigts, qui  réclament  une dextérité hors pair en raison d'une écriture tantôt raréfiée   («... Voiles», «... Des pas sur la neige»),  tantôt  touffue («... Ce qu'a vu le Vent d'Ouest», «... Feuilles mortes»), sont livrées avec un naturel qui n'est pas donné à tous.

 
Libre comme l'air, sculptant le clavier à pleine pâte, le pianiste se fiche de ses prédécesseurs – et Dieu sait combien les références sont écrasantes. Aux touches irisées d'un Gieseking (EMI), à l'alchimie sonore au scalpel d'un Michelangeli ( Premier Livre des Préludes, DG ), aux lenteurs marmoréennes d'un Arrau (plus à l'aise dans de sublimes Estampes et cahiers d'Images, Philips), le pianiste français prône une lecture gouvernée par les sens. La prise de son, spacieuse, flatteuse, confère grandeur à son jeu. On regrettera toutefois un excès de réverbération, surtout dans le deuxième volume, qui donne à son piano des allures de cathédrale.

Sanguin, oui. Jean-Efflam Bavouzet en dit parfois trop. Ainsi, la «Sarabande» de la suite Pour le piano frise le pathos. A vouloir s'emparer de cette musique, il lui arrive d'en sur-caractériser les traits. Et l'on décèle des duretés lorsqu'il joue fort, que la prise de son réverbérée ne saurait masquer. Cette rudesse convient particulièrement aux pièces de caractère. La Tarentelle styrienne donne le vertige, «Nous n'irons plus au bois» des Images (oubliées) respire  l'ivresse  de  l'enfance, Masques  explose  dans  un  torrent d'accords martelés – «Très vif et fantasque» comme l'indique Debussy. Et L'Isle joyeuse, si elle ne distille pas les reflets vif-argent que savait y insuffler Sviatoslav Richter (entendu à Genève en concert), rayonne d'un éclat solaire.


Jean-Efflam Bavouzet explore aussi la face cachée de l'œuvre debussyste. La Ballade (Ballade slave) est l'occasion d'une promenade dans les sous-bois. Il éclaire l'ascendance chopinienne dans la Valse romantique, suspend le discours dans «... Voiles» ( Premier Livre des Préludes) pour mieux laisser tourbillonner «... Le vent dans la plaine» (formidable clarté des plans sonores). Ce piano félin, sujet à des accès de violence bourrue («La Puerta del Vino»), vibre d'une étincelle subjective. Jean-Efflam Bavouzet recrée les œuvres dans l'instant. Au contact de Debussy, il s'oublie pour mieux être lui-même

 

 

Julian Sykes  -  Samedi 5 janvier 2008  © Le Temps, 2008

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