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4 avril 2010 7 04 /04 /avril /2010 18:16

Jean-Efflam Bavouzet en concert au Théâtre de la Ville à Paris (critique de Fabrice Chêne)

Jean-Efflam Bavouzet : vitalité et éclectisme

 

Jean-Efflam Bavouzet est l’un des tout meilleurs pianistes français en activité. Il est réclamé par les plus grands orchestres, et s’est distingué dans de nombreux festivals, comme celui de la Roque d’Anthéron. Au Théâtre de la Ville, où il se produisait pour la première fois, il a donné un magnifique récital, associant quelques-uns de ses compositeurs de prédilection : Haydn, Ravel et Prokofiev.                                                                

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Musicien éclectique, Jean-Efflam Bavouzet excelle aussi bien dans la musique classique que dans la musique contemporaine, à laquelle il se consacre plus volontiers. Ce répertoire étendu lui permet de mettre en évidence la diversité de sa palette sonore, mais aussi sa virtuosité et son inépuisable énergie. Des qualités dont il a su faire preuve une fois encore dans une salle qui, dans sa configuration de concert, se transforme en un magnifique auditorium, idéal pour les récitals de piano. Le concert s’ouvrait par la Sonate nº 31 de Haydn, l’une des plus belles. La clarté du jeu merveilleusement articulé de Jean-Efflam Bavouzet, ainsi que son toucher très percussif conviennent très bien à la gaieté entraînante du compositeur autrichien, à qui le pianiste a d’ailleurs consacré un disque. L’allegro, aux motifs multiples et changeants, est ainsi interprété avec une précision métronomique digne de son modèle Sviatoslav Richter. Ce toucher si précis n’exclut pas la délicatesse, comme en témoigne le très bel adagio, intime et expressif, qui lui succède. Quant au finale (presto), Bavouzet sait en faire surgir toute la fantaisie, et, alliant brio et sens de la polyphonie, réussit parfaitement à restituer à cette musique sa fraîcheur originelle. 

 Cette même vivacité alerte fait également merveille dans la musique française du vingtième siècle, dont Bavouzet est l’un des meilleurs interprètes actuels. Il a en effet enregistré les intégrales des œuvres pour piano de Debussy et de Ravel. Du second, il nous offre un Gaspard de la nuit plein de finesse et de mystère. Œuvre de jeunesse de Ravel inspirée des poèmes d’Aloysius Bertrand, ce triptyque mêlant suprême raffinement et extrême difficulté technique a fait pâlir plus d’un pianiste. Ondine est sous les doigts de l’interprète merveilleux de légèreté et de fluidité. Mais c’est surtout Scarbo qui se détache, cette danse macabre bondissante. Bavouzet parvient à rendre la partition limpide sans lui ôter pour autant sa dimension inquiétante. 

 La pièce de résistance du concert est la monumentale Sonate nº 6 en la majeur de Prokofiev. Cette œuvre est la première des trois sonates dites « de guerre » écrites par le compositeur au moment du second conflit mondial, et qui marquent l’apogée de son écriture pianistique. Postérieure au retour de Prokofiev en URSS, elle fut créée en novembre 1940 par Sviatoslav Richter, alors âgé de vingt-quatre ans. Cette musique, animée des pulsions dévastatrices du vingtième siècle (selon les mots de Richter), se caractérise par ses rythmes brisés, ses accords plaqués, ses crescendos : un climat de violence qui domine l’allegro initial. Après un allegretto dominé par un thème en staccatos plein d’ironie, le mouvement lent, tempo di valzer, lentissimo, offre un moment de répit gracieux et lyrique. Le vivace final est une incroyable page de virtuosité pianistique. Interprété de manière échevelée, il finit par rejoindre la violence du premier mouvement. 

 On sait gré à Jean-Efflam Bavouzet des choix à la fois audacieux et équilibrés de son répertoire. Les deux bis : les très contemplatifs Reflets dans l’eau de Debussy et une Toccata de Jules Massenet pleine d’allant nous font retrouver un peu de sérénité. Ils sont aussi des moments de complicité avec le public, qui apprécie à sa juste valeur la performance d’un musicien à la joie de jouer communicative.  

 Fabrice Chêne 

 www.lestroiscoups.com 
 

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